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Airbnb: comment les hôtes se racontent en ligne
information fournie par The Conversation 06/11/2025 à 08:30
Temps de lecture: 9 min

Sur Airbnb, les annonces ne vendent pas qu’un hébergement: elles racontent une personne, un style de vie, un quartier… (crédit: Adobe Stock/photo générée par IA)

Sur Airbnb, les annonces ne vendent pas qu’un hébergement: elles racontent une personne, un style de vie, un quartier… (crédit: Adobe Stock/photo générée par IA)

L'annonce Airbnb n'est pas un simple descriptif du logement à louer. À partir d'un corpus de trois cents annonces bordelaises et d'une centaine d'entretiens avec des loueurs de la ville, l'étude présentée ici montre qu'il s'agit d'un véritable médium narratif, où se jouent la mise en scène du chez-soi, le (re)placement du logement dans la ville et la construction d'un récit d'hospitalité.

À Bordeaux (Gironde), et ailleurs, les annonces ne vendent pas qu'un hébergement: elles racontent une personne, un style de vie, un quartier (entre «authenticité» et «prestige discret»). Titres, photographies, descriptifs et prix deviennent des leviers pour convaincre «vite et bien». Ce faisant, l'hôte endosse tour à tour les rôles de marketeur, d'agent immobilier et, parfois, d'opérateur touristique, en scénarisant son logement pour inspirer confiance, justifier les prix et se démarquer de la concurrence.

De ce point de vue, les annonces Airbnb constituent un matériau empirique de premier ordre pour étudier cette fabrique discursive de l'hospitalité.

Le titre, premier élément lu

Le parcours des utilisateurs sur l'application est clair: les voyageurs commencent par l'annonce (ils lisent le titre, parcourent les photos puis vérifient la localisation sur la carte) et ne consultent le profil de l'hôte qu'ensuite, pour confirmer leur choix ou poser une question. Le titre de l'annonce condense ainsi en quelques mots la promesse du bien (et de l'expérience) proposée: il doit situer, qualifier et, si possible, distinguer.

Dans ce cadre, trois leviers dominent alors:

  1. L'emplacement, assorti d'un jugement de valeur subjectif: à propos du quartier, la proximité d'un (ou plusieurs) lieu repère, l'accès aux transports en commun (tram/gare), la possibilité de stationner son véhicule. Voici plusieurs exemples: «1 min pont de Pierre et Porte de Bourgogne» ; «Hyper centre, rue de la Merci» ; «Bordeaux centre-ville et parking» .
  2. La «qualité» intrinsèque du logement (type, surface, agencement, esthétique): «Magnifique appartement en pierre+cour privative» ; «Vue sur les façades du 18e» ; «Échoppe typique bordelaise» .
  3. Les équipements dits «rares»: «Jacuzzi privatif» ; «Profitez du toit-terrasse» ; «Studio|wifi|garage|BBQ» .

Certains loueurs mixent les trois leviers dans des annonces cumulatives: «Bel appartement avec parking en hypercentre» ; «Charme, proximité tram, lit king size, plancha» ; «Dans l'hypercentre, clim'+douche à l'italienne» .

Lors d'un entretien, mené à Bordeaux en 2023, Romain, hôte, résume sa stratégie: «J'ai écrit un titre qui pète puis mis une dizaine de photos sympas… c'est comme sur Tinder, mais avec les appartements.»

Laurie raconte quant à elle avoir revu titre, photos et descriptif, avec l'aide de ChatGPT, pour gagner en visibilité: «Au départ, j'avais écrit un titre bateau, du style “Logement Bordeaux”, mais ça ne marchait pas trop. Tout n'était pas lié au titre, bien sûr, mais cela a sûrement renforcé mon invisibilisation. J'ai décidé de changer ma façon de faire, en modifiant le titre, les photos, le texte, les disponibilités… Je me suis appuyée sur ChatGPT et depuis c'est beaucoup mieux.»

Le titre actuel de son annonce: «Appartement cosy dans l'hypercentre de Bordeaux», exemplifie la mobilisation des leviers d'emplacement et de qualité intrinsèque du logement.

«Faites de belles photos!»: l'image qui précède l'usage

Airbnb incite explicitement à publier de nombreuses photos de qualité. La «photo d'accroche», première image visible dans les résultats et en tête de l'annonce, a pour rôle d'attirer le clic et de servir de preuve visuelle à la promesse formulée dans le titre. Elle montre un intérieur impeccable, une «scène, débarrassé des traces du quotidien, avec des configurations et une décoration standardisés, au point de faire exister un chez-soi idéal plutôt qu'un logement vécu.

La frontière public/privé, déjà travaillée par les catalogues d'ameublement et la presse déco, est ici déplacée: l'exhibition n'est plus seulement esthétique, elle est monétisée, géolocalisée, évaluée et orientée par l'algorithme, jusqu'à organiser l'entrée d'inconnus dans le chez-soi.

Quatre cadrages dominent pour la photo d'accroche:

  1. Le logement vu de l'extérieur (façade, porte, allée, parfois depuis un point haut, etc.).
  2. L'intérieur du logement: une pièce ou un équipement (salon, cuisine, jacuzzi, piscine, etc.).
  3. L'extérieur cadré depuis l'intérieur: vue à travers une fenêtre, une terrasse, un jardin, etc.
  4. L'extérieur du logement (paysage urbain, monument emblématique, plaque de rue, etc.). Quand l'environnement «vend» aussi bien ou mieux que l'intérieur.

À Bordeaux intra-muros, l'immense majorité des annonces montrent d'abord un intérieur, la plupart des logements loués sont en effet des appartements sans balcon ni jardin. Dans les quartiers d'échoppes (petites maisons mitoyennes en pierre du XIXe siècle, typiques de Bordeaux, souvent avec une cour ou un jardin étroit), ou dans la première couronne, on voit davantage d'images d'extérieurs (jardin, terrasse, piscine, coin plancha).

Au-delà du cadrage, les choix du moment de la journée et de la lumière, de l'angle, des retouches et, parfois, le recours à un photographe professionnel (préconisé par Airbnb) relèvent d'une stratégie: capitaliser sur l'atout principal du logement, masquer ses faiblesses, et faire coïncider l'image avec le récit de l'annonce, quitte à parfois assumer des écarts entre les photographies et la réalité.

Décrire l'hébergement: trois options narratives

Sur le plan textuel, dans la rubrique «À propos de ce logement», les hôtes mêlent librement récit, mode d'emploi et conseils. Malgré l'hétérogénéité des textes, trois options récurrentes structurent la description:

  1. Le logement comme point de chute: une base de séjour depuis laquelle rayonner facilement dans la ville. Le descriptif détaille alors l'emplacement (temps de marche, lignes de tram, monuments, marchés, lieux de sortie, écosystème culturel).
  2. Le logement comme destination en soi: esthétique, confort et équipements «rares» font du lieu une attraction liée à une activité (se reposer, se ressourcer, se détendre, profiter).
  3. Le mélange: bon emplacement et qualités intrinsèques du logement. C'est l'option la plus répandue.

Plusieurs extraits d'entretiens avec des loueurs illustrent l'alternance de ces trois options narratives:

  • «Mon appartement a un énorme avantage: sa localisation dans le cœur de ville. Je joue donc cette carte à fond… Le titre convainc les voyageurs qu'ils sont au bon endroit, l'appartement est facile d'accès, avec une vue imprenable sur la Grosse Cloche. Les touristes sont à 7 min à pied de (la place touristique de) Pey-Berland, à 10 min du Grand-Théâtre. Bordeaux est une ville à taille humaine, vous pouvez pratiquement tout faire à pied, revenir déjeuner à l'appartement, faire la sieste et repartir vous promener l'après-midi.» : Ayron, hôte bordelais.
  • «Nous sommes relativement loin du centre-ville (10 min à vélo), alors il nous a fallu mettre la lumière sur d'autres aspects que l'emplacement, notamment le côté “sympa” du quartier, la bonne ambiance, le voisinage, les commerces présents, le calme, la végétation surtout au printemps. […] Le barbecue et la terrasse permettent de faire des repas entre amis, d'accueillir d'autres invités que les seuls locataires, de se sentir chez soi mais ailleurs que chez soi. Nous avons beaucoup insisté sur cela dans l'annonce.» : Julie, hôtesse bordelaise.

Ces choix narratifs se forgent avec l'expérience: au fil des séjours et des retours, les hôtes ajustent leur discours aux attentes et aux profils (couples, familles, professionnels) et transforment la description en positionnement d'usage (séjour urbain à pied, halte familiale, retraite-détente, déplacement pro) qui oriente les attentes. En un mot: ils s'adaptent.

Construire un récit. Quand l'hôte devient opérateur touristique

Certains hôtes ne se contentent pas de décrire, mais racontent carrément un séjour possible. Dans la pratique, ce récit dépasse l'application. Dans le logement, on trouve un livret d'accueil ou un guide maison (imprimé ou en QR code), des cartes annotées, des affichettes «À savoir»; en amont et pendant le séjour, des messages complètent l'ensemble. Ce dispositif cadre l'usage du logement et outille la découverte, en proposant par exemple des bons plans selon la météo, des itinéraires ou des repères dans le quartier.

Chez les plus investis, le récit dépasse même l'hébergement. Ils proposent des balades thématiques, rejoignent des réseaux de greeters (des habitants bénévoles qui font découvrir gratuitement leur quartier aux visiteurs) et adoptent plus largement une posture d'«aiguilleur» au fil des échanges. La plateforme encourage par ailleurs cette scénographie, en décernant des «badges» à certains propriétaires et en valorisant l'entraide entre loueurs et locataires.

Dans mon analyse de 600 commentaires laissés par des voyageurs sur 20 annonces bordelaises, entre 2019 et 2023, la reconnaissance explicite du rôle d'«opérateur touristique» de l'hôte reste minoritaire (env. 150 occurrences, dont env. 70 clairement formulées). Ce travail narratif aide certains hôtes à se distinguer, mais il n'est pas systématiquement relevé par les voyageurs dans leurs avis.

Stratégies d'emplacement vs déterminisme locatif

Des hôtes en position défavorable (éloignés des centres urbains et des pôles touristiques, ou proposant un logement qui n'est pas spécialement remarquable) renversent la contrainte grâce au récit de leur annonce. Ils ciblent les bons publics, reconfigurent leur récit («accès voiture», «proximité rocade», «calme», «jardin», «piscine», «stationnement»), ou misent tout sur l'environnement, en détaillant par exemple les bars à proximité et l'histoire du quartier.

La maîtrise de «compétences spatiales» s'avère ici décisive. Par cette expression, j'entends la capacité à situer finement le logement (temps de marche, transports, accès), à rendre son accessibilité lisible en termes de repères concrets, puis à le relier à des usages (courses, culture, promenades) en changeant d'échelle selon le public. Maîtriser ces compétences (situer, rendre lisible, relier) est décisif pour transformer un simple point sur la carte en séjour désirable.

Dans le prolongement de ces stratégies de distinction, le prix traduit la mise en scène décrite plus haut: il aligne la promesse (titre, photos, récit) avec un segment de clientèle. Bas, il signale l'opportunité et déclenche les premières réservations/avis; haut, il marque la qualité et filtre la demande.

Dans les faits, les hôtes prennent en compte un ensemble de variables d'ajustement (saisonnalité, week-end/semaine, remises de dernière minute, minimum de nuits, événements) et aiguillent leurs indicateurs de performance (taux d'occupation, rythme des réservations, avis) pour remonter dans les résultats de l'application ou se spécialiser sur un public précis.

Les annonces Airbnb, un observatoire des tensions économiques autour du logement

Dans une métropole comme Bordeaux, où l'accès au logement est dit «tendu», la tarification ouvre un enjeu central: l'arbitrage entre courte et longue durée. Quand le rendement attendu et la flexibilité perçue sont supérieurs en meublé touristique, des propriétaires basculent vers la courte durée, surtout dans les quartiers les plus demandés, avec à la clé une rareté accrue de l'offre longue durée et, indirectement, une pression sur les loyers. D'où la question décisive: que produisent, quartier par quartier, ces arbitrages tarifaires sur l'offre disponible et sur les prix, et que peuvent les dispositifs de régulation pour y répondre?

La Métropole a déjà mis en place un arsenal de mesures: enregistrement obligatoire avec numéro à afficher, changement d'usage assorti d'une compensation à payer, plafonds de nuitées pour les résidences principales, contrôles et amendes administratives, ainsi que des obligations de partage de données imposées aux plateformes.

L'étude des annonces Airbnb est utile pour documenter et évaluer ces politiques: elle permet de cartographier les concentrations de meublés de tourisme par quartier, d'identifier les caractéristiques signalant des usages problématiques de la plateforme (location de logements entiers, multiannonces, «arrivée autonome» avec une boîte à clés, recours à des conciergeries), de repérer des signaux de professionnalisation, de suivre les évolutions avant/après règlementation, enfin de relier ces indicateurs aux tensions locales (offre disponible, niveaux de loyers). Autrement dit, les annonces ne sont pas seulement un discours: elles forment un observatoire de l'hospitalité et un baromètre spatial précieux pour ajuster la régulation, quartier par quartier.

Par Victor Piganiol (Docteur en géographie du tourisme, rattaché au laboratoire UMR PASSAGES 5319 CNRS | enseignant d'histoire-géographie (Bordeaux), Université Bordeaux Montaigne)

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Cet article est issu du site The Conversation

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